rue Levacher- rue Dupuch - quartier d'Alger :
QUARANTE DEUX ANS PLUS TARD :
MES RETROUVAILLES AVEC BERNARD MERLE DES ISLES

texte de Jean Soler, du 22 rue Levacher
mise sur site le 16-02-2005

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---------Ce lundi 13 décembre 2004, mon cousin Claude, né à SOUKH-EL-KHÉMIS en TUNISIE, me servait pour la circonstance de chauffeur. Je quittais AJACCIO à la recherche d'un vieux copain de quartier perdu de vue depuis plus de quarante ans.
---------Il me fallait pour cela me rendre à SOLARO près de SOLENZARA en Haute-Corse sur la côte orientale de l'île vérifier si les deux adresses que j'avais relevées sur l'annuaire, il y a de cela plus d'un an, me permettrait de résoudre, une fois pour toute, le mystère Bernard MERLE DES ISLES. ---------Après un voyage "defunesque" (que je vous narrerai plus tard, si vous êtes sages), nous sommes arrivés à destination après 119 km de route en 3 heures de temps (soit une moyenne de 39,5 km/h. Bigre !).
---------Le lendemain nous avons pris la direction de SOLARO. Nous nous sommes arrêtés à la Mairie annexe et j'ai demandé aux personnes présentes :
---------''Pourriez-vous me dire où se trouve le lieu-dit Puzzone, s'il vous plait ?''
---------"C'est ici Monsieur'', me répond une charmante brune bien piquante dont mon cousin me dira plus tard que vue de profil elle présentait de délicieuses courbes tant en montagne qu'en plaine. ''Vous cherchez quelqu'un ?''
---------''Oui, je voudrais savoir où se trouve le Sampiero ?''
---------Se tournant vers la fenêtre et me montrant un petit immeuble bordant la Nationale elle me répond :
---------''Vous voyez, c'est cet immeuble à environ 200 mètres''.
---------Et nous voilà partis à l'abordage des MERLE DES ISLES.
---------Le Sampiero est un petit immeuble présentant un rez-de-chaussée et un étage. Il est flanqué à l'arrière et sur le côté gauche en regardant l'immeuble de face à partir de la Nationale d'une petite baraque de plain-pied tout ce qu'il y a de plus sobre et sans aucun cachet. C'est d'abord dans cette direction qu'en voiture nous nous sommes dirigés pensant trouver les portes d'entrée de ce côté à l'arrière de l'immeuble. Je pense tout de suite aux deux noms trouvés, en septembre 2003, sur l'annuaire Marie-Laurence au Sampiero, et Adrienne sans autre précision sinon, pour toutes les deux, le lieu-dit Puzzone. À ceci près cependant que Jean-Jacques MERLE DES ISLES m'avait confié, quelques mois plus tard, lors d'une conversation téléphonique quand je lui avais fait part des adresses trouvées dans l'annuaire des PTT qu'Adrienne était sa belle-sœur, ce qui était, à mon avis la seule information digne d'intérêt venant de sa part.
---------Je pensais qu'à cet instant j'étais arrivé près du but. Nous revenons sur le devant de l'immeuble. Je descends de voiture et me dirige vers une petite fille présente lors de notre arrivée et qui se dirigeait vers une porte vitrée que je n'avais pas remarquée. Je lui demande si elle habite la maison. Me répondant par l'affirmative je lui précise :
---------''Y a-t-il un monsieur MERLE DES ISLES habitant l'immeuble ?''
---------''Oui''
---------''À quel endroit ?''
---------Elle me montre la porte vitrée ''Là !''
---------''Il y a quelqu'un ?''
---------''Oui, mon papa''
---------''Tu peux aller le chercher ?'' Elle acquiesce, entre dans l'appartement et revient accompagné d'un jeune homme, genre sportif, bien baraqué (tout le contraire de ma pomme), les cheveux blonds, paraissant un peu plus trente ans, d'un abord sympathique et ouvert. Il me demande de quoi il s'agit. Je me présente en lui tendant la main qu'il me serre et lui demande s'il connaît un Bernard MERLE DES ISLES. Tenez-vous bien car la réponse est inimaginable :
---------''Le père ou le fils ?'' Et voilà que j'en avais deux pour le prix d'un ! Cela valait le coup de faire ce long déplacement. Je lui rétorque en lui montrant mon visage orné d'une moustache et d'un bouc (pas l'animal espèces d'animaux mal embouchés !) bien blanchis par les années :
---------''Je pense qu'il devrait s'agir du père si vous me regardez bien''.
---------''Eh bien, suivez-moi il doit être là''
---------Tout content de sa proposition, honnête dois-je le préciser, et on le serait à moins dans la mesure où chaque réponse positive semble me rapprocher de mon objectif, je le suis, en lui annonçant que je viens à titre amical et personnel et qu'en aucun cas je ne suis mandaté par un quelconque membre de sa famille.
---------Soudain je l'arrête, vous pensez peut-être que j'appréhende de me trouver face à un homme que je n'ai pas vu depuis plus de 40 ans et que je recule ; non, vous n'y êtes pas du tout, je l'ai stoppé dans son élan pour lui présenter mon cousin Claude, en m'excusant de ne pas l'avoir fait plus tôt. Et nous voilà nous diriger vers la petite maison (dans la prairie, mais oui !) dont je vous ai entretenu un peu plus haut.
---------''C'est là qu'il habite'', me dit-il. Je pense encore un peu plus que j'approche du but. Et je suis surpris de me sentir si calme en cet instant. Je ne me pose même pas la question de savoir comment, et dans quel état, je vais retrouver un camarade d'enfance et de quartier disparu depuis tant de temps. Je n'ai même pas songé au fait qu'il pouvait refuser de me voir, d'abréger la rencontre en me faisant comprendre que pour lui le passé était mort, qu'il ne voulait plus revenir en arrière, qu'il ne voulait plus souffrir de cette situation et…peut-être qu'il avait d'autres chats à fouetter. On arrive alors devant l'entrée de la petite maison.
---------''Ho ! Ho ! Il y a quelqu'un'' demande Bernard, le fils bien entendu ; enfin je ne crois pas puisque personne ne répond. Il se retourne vers moi et me dit qu'il va aller faire un tour à l'intérieur (il faut faire attention à ce que l'on dit, on risque d'y trouver l'ombre de SARKOZY). Il revient au bout d'un temps assez long en compagnie d'une dame qu'il me présente comme étant sa mère et je n'ai aucune raison de douter de sa parole. Je m'empresse de la saluer en lui faisant une petite courbette (de la tête seulement, mais qu'allez-vous croire, je ne suis pas une danseuse de bastringue) histoire de me mettre dans ses petits papiers. Je me présente à mon tour ainsi que mon cousin en tant que spectateur muet d'un film parlant, n'est ce pas Cloclo ?
---------''Eh, bien voilà, lui dis-je, je suis à la recherche de Bernard MERLE DES ISLES depuis trois ans et je pense être arrivé au bout du chemin, n'est-ce pas ?''
---------''Oui, je crois'', me répond-elle.
---------''Madame MERLE DES ISLES, je viens à la rencontre de votre mari à titre tout à fait personnel, comme j'en ai déjà fait part à votre fils.
---------Ma démarche s'inscrit dans une volonté d'anciens copains de quartier, d'école et d'autres lieux, de retrouver tous ceux qui manquent et à qui nous voulons apporter le témoignage de notre ancienne camaraderie et de bien vouloir renouer les liens déchirés par un passage douloureux de notre existence sans vouloir recréer ce qui ne peut revivre.
---------Nous avons réussi à retrouver beaucoup de ces copains qui se sont fait une joie de renouer cette amitié qui se trouve aujourd'hui confortée et embellie malgré ces nombreuses années de brouillard. Oh, il est arrivé que quelques uns n'aient pas voulu aller plus loin que cette approche pour diverses raisons : peur de revivre de mauvais souvenirs, peur de ne plus sentir de chaleur amicale, peur d'avoir trop vieilli dans la tête ou dans le corps ou tout simplement d'avoir tiré un trait définitif sur son passé. Mais il faut tenter tout ce qu'il est possible de faire.

 

---------À titre personnel, dès 1986, j'ai essayé de retrouver la famille MERLE DES ISLES, sans succès, malheureusement, puisque les trois seuls frères dont je me rappelais les prénoms, Henri-Pierre, l'aîné, Bernard, votre époux et Jean-Jacques ne figuraient pas dans les annuaires téléphoniques successifs que j'ai souvent consultés. Puis il y a trois ans, en 2001 donc, au hasard de nouvelles rencontres cimentées par un désir commun, Hervé CUESTA m'a demandé de relancer la recherche mais toujours pas de possibilités de voir apparaître par magie un membre de cette famille. On a eu quelques espoirs notamment à BIGUGLIA où demeure un Pierre-Jean MERLE DES ISLES, pied-noir d'origine, apparenté à un ancien de DORDOR, Jacques PERRI, mais il n'avait rien à voir avec votre famille.
---------Nous commencions à désespérer quand soudain fin août 2003 Loïc MERLE DES ISLES, le fils d'Yves, entre en scène en se faisant connaître de l'administrateur du site ''alger-roi.net'' Bernard VENIS, lequel aussitôt nous en fait part à Hervé CUESTA et à moi. Après de longs échanges avec Loïc, qui le premier nous a mis sur votre piste en vous situant en Corse, nous en étions toujours au même point jusqu'à mon arrivée fin septembre à AJACCIO. Je m'étais juré de faire un saut à SOLARO et d'en avoir le cœur net. Voilà la raison de ma présence ici. Je vous remercie d'avoir bien voulu m'écouter et je précise que ce n'est pas la famille de Bernard qui me mandate auprès de lui. "
---------Après ce long discours Mme MERLE DES ISLES et son fils nous disent qu'à cette heure Bernard est à la pêche au port de SOLENZARA, d'où nous venons, et après les avoir remercié nous rebroussons chemin et partons à la recherche d'une R19 blanche.
---------À notre arrivée au port de plaisance, on essaie de repérer la voiture. Puis on avance, je signale que nous sommes en voiture et que nous roulons à la vitesse d'un escargot parti à la chasse à la salade, on se dirige vers la jetée. Il y a bien une voiture blanche que me signale Claude mais avec le hayon ouvert je ne suis pas capable d'en reconnaître la marque. En nous approchant je vois bien un pêcheur penché sur ces lignes, j'essaye de le distinguer, mais rien à faire pour dire si c'est Bernard d'autant plus que je le vois de profil. Nous passons au ralenti devant la voiture qui s'avère être une R19 blanche. Je demande à Claude de s'arrêter, ce qu'il fait promptement ; je descends et rebrousse chemin. Le pêcheur lève la tête et me regarde. Et là mes enfants, à travers le pare-brise, je reconnais Bernard. Tout en m'approchant je lui lance :
---------''Ça mord ?''
---------Je l'entends me dire ''Non''.
---------Il me regarde pensant que je suis un emmerdeur et qu'il en a fini avec sa relative tranquillité. Plus je m'approche de lui et plus je retrouve ses traits tels qu'il les avait à un peu moins de vingt ans mais ce qui saute à mes yeux c'est le bleu des siens et quand je dis bleu, c'est l'azur par beau temps. Je reformule une demande histoire de combler les quelques mètres qui nous séparent :
---------''Vraiment rien ?'' et là je sens que je l'excède.
---------Il se tourne vers ses cannes et sans me répondre il secoue la tête. C'est le moment où je sens que je vais lui asséner la première botcha. Je suis à ses côtés maintenant et alors qu'il est toujours à contempler ses cannes je lui balance :
---------''Pas de chance, n'est ce pas Bernard ?''
---------Il se retourne vers moi, m'examine et me demande si on se connaît.
---------Je lui rétorque que si je l'appelle par son prénom c'est que c'est le cas et je lui dis :
---------''Tu ne me reconnais pas''. Il réfléchit longtemps me regardant, m'examinant, levant parfois au ciel ses yeux d'un bleu d'azur (oui, je sais je me répète, mais quoi dire d'autre ?), revenant vers moi, secouant négativement la tête puis avouant son ignorance. Pour taquiner le goujon (vous me direz que j'aurais pu choisir une dorade à la place et vous auriez eu raison puisque nous sommes au bord de mer) j'essaie de bromicher un peu :
---------''Dordor, cela te dit ? le hand, l'athlétisme, DAUMAS, CHABANIS ?'' Oui cela peut lui dire mais encore une fois il reste sans voix. Alors pour ne pas laisser perdurer cette situation de mutisme je me permets de lui asséner la deuxième botcha :
---------''Allez je ne vais pas te faire attendre plus longtemps, SOLER !''
---------Alors là, ça lui en a fichu un autre coup. Il m'a sauté… au cou tout simplement et je me suis reculé un tout petit peu car ce n'est plus le Bernard d'antan, mince dans nos mémoires, non c'est devenu un costaud, un vrai de vrai (ce n'est pas non plus Mike TYSON, qu'on se le dise). On s'est embrassé comme il convient dans ce genre de retrouvailles et le passé a dû lui monter soudain à la tête. On a parlé de tout et de rien, je lui ai fait un topo de nos recherches pour le retrouver et je n'en referais pas la narration. De son côté il m'a appris qu'ils s'étaient installés dans le coin depuis 2002, en provenance de la région niçoise, qu'il est à la retraite depuis mai 2002, et que son fils Bernard depuis trois mois était venu les rejoindre avec sa petite famille. Et alors là je lui ai posé la question qu'il ne fallait pas poser mais allez savoir ce qu'il faut dire ou ne pas dire dans ces occasions :
---------''Dis-moi Bernard, qu'est-ce qu'il t'a pris de venir t'installer à la retraite dans le pays de mes ancêtres ?''
---------Il y a eu un silence puis il m'a annoncé que c'était une affaire de circonstances : un ange est passé. Et dans ces cas-là mieux vaut abréger.
---------Claude et moi lui avons manifesté toute notre sympathie d'avoir choisi notre île. J'ai appelé Hervé pour les mettre en relation ce qui fut fait illico.
---------À l'issue de ce dialogue je n'ai pas voulu rester plus longtemps et nous nous sommes séparés en lui rappelant de rester en contact si cela lui était possible. Arrivé à la sortie du port je me suis aperçu qu'il nous faisait au revoir. Claude a stoppé et nous lui avons rendu son salut.
---------Salut petit frère que Dieu te garde toi et ta famille vous en avez suffisamment bavé !

---------Jean SOLER. RUEIL-MALMAISON, le 01/02/2005